« Gérer » ses émotions parfois ça ressemble à surfer sur une mer de lave…
Et vous, comment faites vous? Vous les accueillez comme elles viennent, vous les ruminez, les cachez? Avez-vous tendance à être inquiet à l’idée de pouvoir être inquiet ou triste en pensant que vous pourriez être triste?
Déjà, c'est quoi une émotion?
L’émotion (du latin « ex-movere », mouvement vers l’extérieur), est un état affectif intense, soudain et passager. »Passager », rappelez-vous en lorsque vous vivez une émotion désagréable, ça passe!
- On la sent dans notre corps. Notre cœur s’accélère, on sue, tremble, on a des papillons dans le ventre, une boule dans l’estomac, des frissons, les poils qui se hérissent, le visage qui rougit, les mains qui deviennent moites, la voix qui s’enroue …
- Mais aussi elle agite notre esprit, c’est la composante cognitive des émotions. Elle nous fait penser différemment, nous embrume l’esprit ou au contraire l’affûte.
- Enfin, l’émotion nous prépare et souvent nous pousse à l’action. C’est sa composante comportementale.
Par ailleurs, l’émotion fait son apparition en réaction à un événement qui peut être soit interne, une pensée par exemple, soit externe, un événement qui se produit.
Il en existe toute une palette entre la Colère, la Jalousie, la Honte, le Dégoût, la Peur, la Tristesse, la Surprise, la Joie, l’Amour. Et elles-mêmes se déclinent avec subtilité en d’autre émotions, comme des petites touches de couleur qui viennent peindre notre vie. Certaines couleurs prédominent plus selon les périodes, selon les personnes.
Une palette d'émotions.
Essayez d’aller au delà des évidences et d’identifier exactement ce que vous ressentez. Faites ce petit exercice lorsque vous ressentez des émotions, pour préciser avec finesse les « je suis fâché ou triste » par exemple.
Faché
- grognon
- frustré
- agacé
- sur la défensive
- rancunier
- impatient
- dégouté
- irrité
- vexé
Triste
- déçu
- mélancolique
- plein de regrets
- déprimé
- paralysé
- pessimiste
- en larmes
- consterné
- désillusionné
Anxieux
- effrayé
- stressé
- vulnérable
- confus
- perplexe
- sceptique
- inquiet
- nerveux
- prudent
Blessé
- jaloux
- trahi
- isolé
- choqué
- démuni
- persecuté
- tourmenté
- abandonné
- lesé
Géné
- isolé
- seul
- inférieur
- coupable
- honteux
- pathétique
- confus
- repugnant
- confus
Heureux
- reconnaissant
- détendu
- soulagé
- confiant
- à l’aise
- content
- ravi
- excité
Source Susan David HBR.ORG
Les émotions versus la raison.
Elles n’ont pas très bonne presse, nos émotions. De nombreux philosophes n’ont cessé de leur préférer la raison. Un modèle de l’humain parfait s’est ainsi développé comme étant celui qui ne se laisse guider que par son intellect, la rationalité et la logique.
Néanmoins, les choses changent et depuis quelques années ont voit fleurir de nombreuses études très intéressantes mettant les émotions sur le devant de la scène.
L'éclairage des neurosciences.
Parmi ces études, on trouve celles du neuroscientifique António Damásio. Il a étudié des cas cliniques de patients présentant des lésions de certaines régions du cortex préfrontal. Si vous voulez en savoir un peu plus, c’est ici! Ils ont un abord plutôt froid et détaché, comme insensibles à ce qui les entoure. Et s’ils gardent toutes leurs connaissances et capacités intellectuelles suite aux lésions cérébrales, ils sont par contre privés de résonance affective.
L'impact de l'absence des émotions.
Il s’avère que cette perte émotionnelle n’est pas anodine! Damásio a découvert que leur quotidien s’en trouve impacté de manière importante. Ils tournent en rond, incapables de prendre des décisions dans les domaines personnels et sociaux, de hiérarchiser des priorités, de garder un travail. Ils sont également dans l’incapacité de tenir compte des conséquences de leurs actes de manière à ajuster des décisions ultérieures.
De l'utilité des émotions.
On touche ainsi du doigt ici l’erreur des cognitivistes purs et de notre société occidentale si influencée par le cartésianisme. Nous sommes souvent dans l’illusion que la pensée est la panacée, l’unique guide valide pour nous accompagner dans notre vie et nous aider à nous en sortir. Sauf que si nous ne ressentons rien, alors nous ne savons que choisir, nous perdons notre boussole. Ces patients n’ont aucun souci intellectuellement. Cependant, privés d’émotions, il leur manque quelque chose pour penser et vivre justement de manière rationnelle. En effet, nos émotions nous orientent dans la prise de décision et le processus de raisonnement. C’est un peu comme l’étincelle de vie qui nous pousse à agir, ou comme l’essence qui permet à un moteur de fonctionner!
Les récompenses émotionnelles nous motivent, donnent un sens à nos actions. Prenons l’exemple du travail. Le fait de nous sentir en lien avec nos collègues, mais aussi familles, amis, ou encore de ressentir de la satisfaction dans les tâches effectuées, que soit le plaisir d’effectuer la tâche en elle-même, le résultat, ou ce que notre salaire nous permettra de faire, tout cela nous pousse à l’action, nous guide et nous motive.
Et les émotions désagréables?
On vit dans une société qui valorise à outrance la positivité. Si bien qu’il est assez fréquent en consultation d’entendre des personnes qui pensent que la santé mentale implique de n’être ni triste, ni angoissé, ni stressé. Or si vous visez cet objectif, vous risquez de vous épuiser beaucoup à tenter de rejeter des émotions normales, à essayer d’éradiquer tout un pan de votre humanité.
La vie c’est une espèce d’arc en ciel plein de couleurs, de nuances, de soleil, d’orages, de tempêtes. Et ce n’est pas au choix, c’est un pack, on prend tout ou rien! La vie, c’est des rencontres, des séparations, des deuils, des disputes, des changements, des amours, des passions, des blessures, des imprévus, des certitudes… Il y a de tout, et ce tout génère une multitude d’émotions qui vont et viennent, aux antipodes l’une de l’autre, changeantes, virevoltantes. Parce que ça bouge une émotion, ça arrive sans crier gare, ça explose, pouf et ça disparaît comme c’est venu. Il est impossible de vivre une vie épanouie sans vivre des émotions inconfortables. Ne pas ressentir d’émotions est un bon projet pour le cimetière. Mais avant d’en arriver là, la vie implique d’accepter de prendre des risques, de se brûler un peu les ailes. On ne peut pas aimer sans risquer la tristesse, on ne peut pas affronter de nouveaux challenges sans ressentir la peur…
Chasser les émotions désagréables?
A ce sujet, Susan David, Docteur en Psychologie à Harvard, une des spécialistes dans le champ des émotions et de l’agilité émotionnelle nous offre un éclairage très intéressant. Selon une étude qu’elle a menée auprès de 70 000 personnes, un tiers d’entre elles porte un jugement négatif sur elles-mêmes lorsqu’elles ressentent des émotions comme la tristesse ou la colère.
« Être positif est devenu une nouvelle forme de correction morale », explique t’ elle. « On dit automatiquement aux personnes atteintes de cancer de rester positives, aux femmes d’arrêter d’être en colère. Et la liste continue. C’est une tyrannie. C’est une tyrannie de positivité. Et c’est cruel, méchant. Et inefficace. Nous nous l’infligeons et nous l’infligeons aux autres. »
C’est très douloureux lorsqu’on nous dit de sourire alors que l’on vit quelque chose de difficile. Et ça nous oblige à nous amputer d’une part de nous-mêmes. Or, nous avons le droit de ressentir notre vérité émotionnelle sans avoir à la masquer ou ressentir de la honte ou de la culpabilité.
Peut être aussi qu’on ne nous a pas enseigné à accueillir des émotions fortes mais plutôt à les refouler, les cacher aussi vite qu’elles sont apparues, pour ne pas déranger, pour être responsable, pour plaire… Sauf que ces mécanismes de rejet comme de fausse positivité sont rigides. De plus, les études montrent que lorsque on évacue nos émotions dès qu’elles apparaissent, elles reviennent avec une force encore plus importante. Ce que l’on appelle le phénomène d’amplification.
On en fait quoi alors de nos émotions?
Nos émotions ne nous veulent pas de mal. Elles nous indiquent des choses importantes sur nous-mêmes. Si nous prenons le temps de les écouter, elles nous aident à avancer, à choisir nos actions, à nous guider. Même les émotions désagréables sont des guides précieux.
Il me parait d’ailleurs important de ne pas leur coller des petites étiquettes de type émotions « positives -négatives ». Cela peut paraître anodin, mais mine de rien, ça nous conditionne quelque part à en craindre certaines. Chacune d’entre elles est valide et fait partie de l’expérience humaine. Par ailleurs, il peut être intéressant également de prendre le temps de réfléchir s’il y a des émotions particulières que vous acceptez difficilement, que vous avez tendance à chercher à supprimer.
L'agilité émotionnelle
Notre monde est très complexe et face à lui, il vaut mieux injecter de la souplesse plutôt que de la rigidité. Cela permet de réintroduire des capacités d’adaptation et de résilience. Pour ce faire, Susan David propose le concept d’agilité émotionnelle. Il ne s’agit pas de se transformer mais juste de dévoiler ce qui est déjà en nous sans le camoufler.
Il ne s’agit pas d’obéir aveuglement à nos émotions, ni de les supprimer, mais plutôt de trouver un équilibre entre les deux nous permettant déjà de les entendre et les comprendre. Voyons de quoi il s’agit.
Quelques pistes pour une agilité émotionnelle.
Acceptez.
- Reconnaissez en premier lieu que vos émotions, quelles qu’elles soient sont normales, saines et humaines. Ne portez pas de jugement, ne cherchez pas à savoir si elles sont légitimes ou pas, elles sont, c’est tout! Accueillez les avec compassion, elles font partie de l’expérience humaine.
Donnez leur un nom.
- Essayez de les nommer. Souvent, on a quelques mots fourre-tout qu’on utilise pour plein d’émotions différentes. Le problème, c’est qu’à ne pas avoir le bon mot, on passe à côté d’informations importantes. Par exemple, on peut découvrir que cette colère envers notre enfant qui a traversé la route alors qu’arrivait une voiture, est en fait de la peur. Si on arrive à se connecter avec cette émotion, on va peut-être avoir une autre réponse qu’une claque ou crier contre le petit imprudent; ou se rendre compte que telle autre colère est en fait de la tristesse de se sentir abandonné, ce qui va nous permettre là aussi de communiquer d’une autre manière.
Accueillez votre émotion.
- Lorsque vous ressentez une émotion, ne vous battez pas contre elle, ne la chassez pas, accueillez-la avec courage, sachez que vous êtes capable de faire l’expérience de toutes les émotions. Asseyez-vous avec elle pour la comprendre. Prenez le temps de découvrir ce qu’elle vient vous dire, pourquoi vous vous sentez comme ça, avec curiosité et bienveillance. C’est un peu comme les voyants sur le tableau de bord de votre voiture. Lorsqu’ils s’allument, c’est pour informer que quelque chose se passe et requiert notre attention.
Créez une distance avec votre émotion.
- Créez une distance entre vous et vos émotions, sans vous laisser happer par elles. Vous n’êtes pas votre émotion, elle n’est qu’une donnée. Vous décidez, pas elle. Au lieu de dire « je suis triste » , essayez « je remarque que je me sens triste » par exemple, de manière à ne pas vous confondre avec ce que vous ressentez.
Laissez vous guider par vos valeurs.
- Cherchez du côté de vos valeurs pour vous guider. Par exemple, qu’est-ce que votre déception ou votre frustration essayent de vous dire? Peut être que vous valorisez la justice, l’équité et qu’elles ont été malmenées provoquant ces émotions. Ces valeurs peuvent alors vous servir de boussole pour orienter votre réaction. Susan David évoque un patient qui a passé beaucoup de temps a parler du stress provoqué par son travail. Mais il n’a jamais pris le temps d’écouter ses émotions et ce qu’elles voulaient lui dire, répétant « Mais au moins j’ai un travail ». Ce faisant, il n’a pas pu découvrir tout de suite quelles valeurs n’étaient pas satisfaites dans ce travail et comment il pouvait changer pour être plus en harmonie avec ses valeurs et besoins.
De nombreuses personnes ont passé beaucoup de temps à fuir leurs émotions, triple dose de glace au chocolat, mojitos à gogo, orgie de Netflix, anxiolytiques ou antidépresseurs… Ainsi que, essayer ne serait-ce que de nommer précisément ses émotions ou juste accepter de se poser avec elles, c’est déjà une grande avancée!
Mais, si vos émotions vous submergent, vous effraient, si ça vous parait compliqué de les appréhender autrement que par le rejet par exemple, n’hésitez pas à me contacter. Les émotions font partie de ce que l’on travaille en thérapie et je me ferais un plaisir de vous accompagner pour les apprivoiser!
Merci à Servando et Ismael Merchan Torres pour les photos.
Super article,clair ,riche et bien documenté,plein de sensibilité.
Merci beaucoup, c’est gentil!
D’abord merci pour vos articles très formateurs !
Dans celui-ci, je trouve qu’il y a beaucoup de justesse, comme :
« Ne pas ressentir d’émotions est un bon projet pour le cimetière ».
Ou encore :
« On ne peut pas aimer sans risquer la tristesse, on ne peut pas affronter de nouveaux challenges sans ressentir la peur… »
Il y a pleins d’autres trésors que je ne mentionne pas ici, tout simplement pour ne pas alourdir mes commentaires.
Merci de continuer à apporter vos lumières. ✨✨✨✨✨
Un très grand merci pour ce gentil commentaire! Ça fait plaisir d’avoir un retour et de savoir que vous trouvez dans mes articles de quoi alimenter vos réflexions. Merci de me lire!