Le bonheur figé des réseaux sociaux
Dans notre société, on entend en filigrane, partout, qu’il nous faut atteindre le bonheur. C’est la norme, l’étalon à l’aune duquel se mesure la réussite de notre vie.
Il n’y a qu’à voir les photos et messages sur les réseaux sociaux. C’est une belle vitrine où chacun se montre et montre sa vie sous son plus beau jour. Des couples harmonieux, beaux, tout frais-tout propres, nous sourient, comme si jamais ils n’avaient un mot plus haut que l’autre, comme si la perfection faisait partie intégrante de leur quotidien. Ils ne nous montreront pas leurs disputes, désaccords, les moments de routine ennuyeuse… Les parents quant à eux sont aux anges avec des enfants parfaits, mignons, drôles mais on ne verra pas les crises, les nuits blanches, les pleurs, l’épuisement….
Souvent, mes patients me disent : « les autres sont heureux, ils n’ont pas de problèmes, c’est moi le problème ! ». Mais sincèrement, qui n’a pas cette impression après une demi-heure passée sur Facebook ou Instagram ? Ce que les autres donnent à voir parait si impeccable! Alors, c’est ça le bonheur? Ou c’est juste une sélection de moments, y compris artificiels, étudiés, répétés à l’infini jusqu’à obtenir une belle façade de bonheur parfait?
L'obligation du bonheur ou le bonheur comme norme
Construction d’un bonheur factice sur les réseaux sociaux comme au travers de médias, autant de discours qui se font écho d’un coin de notre monde à l’autre. Notre société nous présente un modèle dominant d’ultra positivité. On nous fait croire que la joie et la positivité sont la norme, ne laissant du coup que très peu de place aux autres émotions. Pire, on nous laisse entendre que si on n’est pas heureux, c’est que forcément quelque chose cloche chez nous. On n’a peut être pas assez fait d’efforts? Avec tous les tutoriels qu’on trouve à foison sur internet, si on n’est toujours pas heureux, c’est vraiment qu’on n’y met pas de bonne volonté. De toute manière, « quand on veut on peut ». Bouh le vilain petit canard, bonjour la culpabilisation…
Ces messages là finissent par mettre une pression importante sur nos épaules. Il faut être heureux. C’est honteux de ne pas l’être, c’est être différent, pas normal. Qui n’a jamais entendu un « allez,souris, sois positif! » lorsqu’il avait l’air triste ou pensif, comme si c’était quelque chose d’inquiétant qu’il fallait s’empresser de faire disparaître. Pourtant, éradiquer nos émotions difficiles n’est ni sain, ni aidant. Nous nous en sortons beaucoup mieux lorsque nous acceptons, pour nous comme les autres, que d’autres émotions que le bonheur sont tout aussi valides! Paradoxalement, il est plus facile de se sentir heureux lorsqu’on s’autorise à ne pas l’être, sans culpabiliser, sans s’excuser, ni essayer de travestir ou de cacher ses vraies émotions sous un vernis de positivité.
Mais comment sait-on qu'on a atteint le bonheur?
Cette honte, ce malaise de ne pas coller au modèle du bonheur se retrouve dans les échanges en psychothérapie. Souvent les personnes viennent avec pour objectif d’être heureuses. Or, cette idée là, ce projet méritent d’être interrogés plus avant sous peine de désillusion et de sentiment d’échec.
Comment évalue-t-on ça ? Comment sait-on si on a atteint l’objectif? C’est quoi être heureux pour vous concrètement ? Combien de temps ça doit durer pour que vous sentiez un accomplissement ? Si on ne prend pas le temps de réfléchir à ça, on risque de courir pendant longtemps derrière quelque chose de nébuleux que l’on n’arrive jamais à embrasser, sans même s’en rendre compte, laissant un goût d’amertume et de frustration au fond de la gorge.
De même, si on ne prend pas le temps de mettre des mots dessus, on risque fort de zapper justement les moments de bonheur que l’on vit, de ne pas les identifier comme tel.
Courir derrière une chimère?
Alors derrière quoi coure t-on de manière si effrénée?
Parfois, la recherche du bonheur semble se confondre avec des acquisitions matérielles, des événements. J’entends « je serai heureux quand j’aurai changé de travail, quand j’aurai rencontré quelqu’un de bien, quand j’aurai fondé ma famille, quand je serai propriétaire de ma maison, que j’aurai cette belle voiture dont je rêve, quand je me serai fait refaire le nez… ».
Le bonheur serait quelque chose qui arrive avec un événement ou un bien de consommation. Sauf qu’une fois cet événement arrivé, le bonheur s’évapore peu à peu, plus ou moins rapidement et laisse à nouveau la place à d’autres émotions… Ainsi le bonheur finit par ressembler à quelque chose de lointain, comme un mirage, qui s’échappe un peu plus chaque fois qu’on s’approche, insaisissable. « Quel échec, je suis de nouveau triste» me dit-on. Et de courir après un autre projet qui serait susceptible, cette fois-ci, de rendre heureux.
La permanence du bonheur?
Mais, et si le bonheur n’était pas un état stable, et donc pas le but ultime à atteindre?
Imaginez deux minutes un bonheur permanent… Êtes-vous sûr que ça fait rêver?
Imaginez quelque chose d’aussi trivial que le bonheur de manger une bonne glace en regardant la mer. Imaginez maintenant que tous les jours vous mangiez une glace en regardant la mer, tous les jours de tous les mois, toutes les années de votre vie. Ça vous parait toujours aussi plaisant? Le bonheur ne tire-t-il pas plutôt sa saveur du contraste avec d’autres moments plus ternes? Ne brille-t-il pas car nous l’opposons à des moments plus obscurs de notre vie, qui lui donnent son relief, sa profondeur. S’il n’y a plus de contrastes, ça se transforme en une routine sans saveur. N’est- ce pas justement parce que le bonheur n’est pas permanent qu’il nous parait si attractif?
Une étude sur le bonheur
Et si nous allions regarder du côté des études psychologiques voir ce qu’elles nous disent sur le bonheur?
Robert Waldinger est psychiatre-psychanalyste. Il exerce également en tant que professeur de psychiatrie à la Faculté de Médecine de Harvard où il a dirigé une étude sur le développement des adultes. Il s’agit de l’une des études longitudinale la plus longue jamais réalisée. Cette étude aussi incroyable que rare a permis de suivre 724 hommes durant 78 ans. L’équipe de chercheurs a effectué des entretiens, fait des analyses de sang, IRM, lu les rapports médicaux, etc, pour ne pas perdre une miette du cours de leur vie. Vous pouvez découvrir la conférence où Waldinger présente les résultats ici.
Tout d’abord, « Il y a eu un sondage récemment sur la Génération Y leur demandant quel était le but le plus important dans leur vie et plus de 80% ont répondu qu’un but de vie important pour eux était de devenir riche. Et 50% de ces mêmes jeunes adultes ont répondu qu’un objectif de vie important était de devenir célèbre. On nous dit constamment de nous mettre au travail, de travailler plus dur, et d’accomplir plus. On nous fait croire que ces choses sont celles que l’on doit poursuivre pour réussir sa vie. Des portraits de vies entières, des choix que les gens font et comment ces choix marchent pour eux, mais ces portraits sont presque impossibles à obtenir », nous dit le psychiatre.
Si le bonheur ce n’est ni l’argent, ni la célébrité, ou peut-il bien se cacher?
De l'importance des liens sociaux de qualité
Ce qui est ressorti de cette étude, finalement sans trop de surprise, c’est que le lien social et affectif est l’élément central permettant de donner du sens à la vie et de créer un sentiment de bonheur. Les personnes qui ont le plus de connexions avec les membres de leur famille, mais aussi leurs amis, leur communauté sont ceux qui s’estiment les plus heureux, indépendamment de leur niveau de vie ou d’études, des événements vécus. La solitude, le manque de relations sociales, d’implication auprès des autres entraînent au contraire un sentiment plus faible de bonheur.
Quel type de lien
Être en lien avec les autres n’implique pas d’avoir quantité d’amis. Il s’agit plutôt de la qualité de ces relations. Cela ne veut pas non plus dire ne jamais se disputer ou être en conflit, mais bien savoir que l’on peut compter sur quelqu’un en cas de difficulté.
Ainsi, vivre au milieu de personnes avec lesquelles nous ne sentons pas d’affinités, sans lien affectif particulier, ou avec lesquelles nous entretenons des conflits, des rancœurs est complètement délétère pour notre santé tant mentale que physique. Et ce, bien plus que vivre seul !
Impact sur le soma
Par ailleurs, la qualité des liens, a non seulement une influence positive sur le sentiment de bonheur, mais semble également exercer un effet protecteur sur la santé physique. Les personnes ne bénéficiant pas de liens chaleureux de qualité ont une santé et des capacités cérébrales qui s’abîment plus vite, une espérance de vie plus courte.
De plus, lorsque le corps commence à montrer des signes de vieillesse, de faiblesse et qu’apparaissent des douleurs, les personnes impliquées dans des relations positives continuent de faire état d’un sentiment de bonheur. À l’inverse, les personnes malheureuses dans leurs relations ont tendance à plus souffrir des douleurs physiques, comme si leur état émotionnel amplifiait leur état somatique.
Prêt à chercher votre bonheur?
Alors qu’est-ce qui fait que nous avons tellement tendance à oublier l’importance fondamentale des autres dans notre bien être ? Pourquoi courons-nous sans cesse derrière des chimères abstraites, matérielles, pour trouver le bonheur, délaissant par là même ce qui justement est susceptible de nous rendre heureux, les autres ?
Peut être, comme le dit Robert Waldinger que « ce qu’on aimerait, c’est une solution facile, quelque chose qu’on peut obtenir qui rendrait nos vies belles et les maintiendrait comme ça. Les relations sont désordonnées et compliquées, et le dur labeur de s’accrocher à la famille et aux amis n’est ni sexy ni glamour. » Peut être que nous souhaitons avant tout quelque chose de facile, sur lequel on a du contrôle, qui ne nous implique finalement pas tant que ça émotionnellement…
Et si on osait....
Alors oui, c’est difficile, oui c’est le chemin d’une vie, ça ne se fait pas en un claquement de doigts, et il n’y a pas de recette miracle. Et parfois, on ne sait vraiment pas par quel bout prendre les choses. On ne sait plus comment reprendre des liens avec les autres ou trouver ce qui nous correspond… Parfois on a lâché depuis si longtemps certaines relations, suite à une dispute, dont on a peut-être même oublié la raison, ou parce qu’on a laissé la distance et la lourdeur des silences s’installer et nous éloigner chaque jour un peu plus…. Mais on n’est pas obligé d’errer seul! Si vous tâtonnez, vous pouvez me solliciter moi (ici) ou un autre psychologue pour vous accompagner. Ça peut réellement faire la différence.
Et si ça vous parait possible, pourquoi ne pas lâcher, là maintenant, vos écrans ou les dossiers du travail ramenés à la maison, pour passer un temps véritable avec la famille ou les amis, en pleine présence ? Pourquoi ne pas proposer une soirée romantique surprise à votre partenaire ? Ou encore passer un coup de fil à quelqu’un que vous ne voyez plus depuis longtemps ou avec qui vous êtes brouillé ?
Osons nous tricoter un bonheur sur mesure qui ne ressemble qu’à nous, tissons les liens de nos relations, de nos valeurs ensemble pour créer une pièce unique. La nôtre. Osons nous distancier des modèles imposés par la société, par ce que les autres attendent de nous. Osons tâtonner, cheminer, nous tromper, réessayer, être différent, pleurer, rire, vivre toutes les émotions que la vie nous propose… Notre vie, notre bonheur, nous attendent, ne perdons pas de temps, vivons, aimons.
« On n’a pas le temps, si brève est la vie, pour les chamailleries, les excuses, l’animosité, les appels à rendre des comptes. On n’a que le temps pour aimer et pas un instant de plus, pour ainsi dire, que pour ça.»
Mark Twain
Une analyse très fine,comme d’habitude…ici du formatage que la société essaie de nous glisser et de l’importance de définir ce qui nous rend heureux,nous….. Bravo.
Lire cet article tellement clair et aussi étayé sur un sujet aussi complexe…ça aura été mon petit moment de bonheur aujourd’hui, merci ! 🙂
Merci beaucoup d’avoir pris le temps de laisser ce gentil commentaire, Glenn. Je suis vraiment heureuse que l’article vous ait plu!
Merci beaucoup pour votre retour Odile, c’est un plaisir de lire votre gentil commentaire!